Le Soleil et l'acier by Mishima Yukio

Le Soleil et l'acier by Mishima Yukio

Auteur:Mishima, Yukio [Mishima, Yukio]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


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… Il est assez risqué de discuter un bonheur qui peut se passer de mots.

La seule chose qui, j’en suis sûr, peut aisément se déduire de ce que j’ai écrit, c’est qu’afin de susciter ce que j’évoque ici sous le nom de bonheur, il faut d’abord remplir une série de conditions extrêmement gênantes et se livrer à toute une série de pratiques extrêmement complexes.

Au cours du bref espace – un mois et demi – de vie militaire dont je fis plus tard l’expérience, je trouvai maint fragment chatoyant de bonheur, mais il en est un (inoubliable et si complet sentiment de bonheur éprouvé en un moment dépourvu de toute signification apparente et pas du tout militaire) que je me sens contraint de le relater ici. Bien que faisant partie d’un groupe lorsque j’étais soldat, ce sentiment suprême de bien-être se manifesta, comme en toute occasion antérieure de ma vie, lorsque j’étais tout seul.

Cela se produisit à la tombée du jour le 25 mai, une journée splendide du début de l’été. J’étais incorporé dans un groupe de parachutistes ; on avait fini l’exercice journalier ; j’avais été prendre un bain et rentrais au dortoir.

Le ciel du début de soirée se teintait de nuances roses et bleues et l’herbe au-dessous s’étendait en nappe de jade unie, étincelante. On voyait çà et là, de part et d’autre du sentier où je marchais, les bâtiments de bois, robustes, vieillissants, souvenirs nostalgiques d’une époque où ç’avait été l’école de cavalerie : le manège couvert devenu un gymnase, les écuries aujourd’hui bureau de poste…

J’avais encore ma tenue de culture physique : de longs collants de coton blanc qu’on venait de distribuer ce jour même, des sandales de gymnastique en caoutchouc, un maillot. Contribuait à mon sentiment de bien-être jusqu’à la boue qui salissait déjà le fond du pantalon.

Le maniement du parachute qui avait occupé la matinée, cette sensation extraordinairement subtile au moment où, pour la première fois, on s’abandonnait au vide, subsistaient en moi, résidu transparent, frêle comme un biscuit médicinal. La respiration profonde et rapide due à l’entraînement sur piste et à la course qui avaient suivi pénétraient mon corps d’une agréable léthargie. Il y avait là des carabines, des armes de toutes sortes. Mon épaule était prête à tout instant à ajuster une crosse.

J’avais couru à cœur joie sur le gazon vert, senti la morsure du soleil hâler d’un bronze doré mon épiderme ; dans l’illumination de l’été, j’avais vu, douze mètres au-dessous de moi, les ombres des hommes fermement découpées et collant à leurs pieds. J’avais sauté dans l’espace du haut de la tour argentée, conscient, dans mon élan, que mon ombre projetée l’instant d’après parmi ces gens se trouverait isolée sur le sol en flaque noirâtre, détachée de mon corps. A cet instant, sans le moindre doute, j’étais libéré de mon ombre, de la conscience de moi-même.

Ma journée avait été remplie ras bord d’exercices corporels et d’action. Excitation physique, force, sueur, muscle ; le gazon vert de l’été s’étendait alentour, la brise



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